• Pause café

    Alors, tu vois, je suis sur la route, celle que je prends tous les jours pour aller bosser
    (boit une gorgée de son café)
    et bien sûr, c’est comme d’habitude, ça bouchonne un peu, il y a le feu rouge, tu sais, celui de la boulangerie, alors comme d’habitude je fais attention, je regarde bien dans mon rétro quand je freine, le matin les gens sont speeds, hein, j’ai toujours peur de me faire emboutir
    (une mèche s’échappe du chignon tenu par un crayon en papier, elle n’aura pas eu le temps de se peigner avant de partir au bureau ce matin, sa main droite remet la mèche en place de façon automatique, et comme à chaque fois mon cœur s’emballe devant ces boucles animées d’une vie propre)
    tu m’écoutes ? alors, donc, je regarde dans mon rétro, et là je vois que le type derrière, il téléphone. Ca m’agace ces mecs qui téléphonent au volant, avant même d’avoir embauché ! C’est vrai, quoi ! vous critiquez toujours les femmes qui finissent de se maquiller au volant, mais le nombre de mecs qui téléphonent en roulant !… Bref, je fais attention, pied sur le frein, mais voilà, cette fois-ci j’y ai droit, paf !
    (ses mains s’envolent en l’air, oiseaux graciles et gracieux, miment le choc, la tête secouée qui bascule vers le volant, et elle en profite pour porter la tasse à ses lèvres)
    évidemment, comme ça, avec les voitures à touche-touche, au pire mon pare-choc est un peu abîmé, mais rien qu’à l’idée de perdre du temps à devoir faire un constat alors que moi ! moi, je n’y suis pour rien… je suis furax, mais vraiment furax, tu vois ! Je bloque le frein à main, j’empoigne mon sac à main – tu sais, j’ai toujours peur qu’on puisse profiter de ce genre d’occasion pour me le faucher, c’est viscéral cette peur qu’on me fauche mon sac à main, et là, tu vois, c'est intéressant quand même l'inconscient, ça ressort – et je déboule en furie devant le type, cet espèce de connard, qui, tiens-toi bien, n’a pas lâché son téléphone !
    (elle s’énerve, fronce les sourcils et serre les poings, elle est délicieuse)
    pourquoi tu souris ? tu te moques ? ne te moques pas, c’est pas drôle !
    (bon d’accord, ce n’est pas drôle, je prends un air sérieux, je me penche vers elle pour l’écouter plus intensément, et découvre qu’ainsi j’ai une vue plongeante sur son décolleté)
    alors, je continue : le mec, donc, il est toujours au téléphone, et alors là, j’ouvre la portière, je l’attrape par sa cravate, je le sors de sa voiture, je ne sens plus ma force, il se débat, je lui balance – tu t’imagines ? je lui balance mon sac à main à travers la figure, son téléphone vole littéralement dans les airs, je le vois qui pars comme une fusée, le type est par terre, et là, je lui balance mon pied dans le bide ! je lui explose le ventre à ce gros type en cravate ! je sens une énergie incroyable qui me traverse, je me libère complètement et c’est bon ! c’est incroyable comme sensation, c’est comme quand je rêve que je fais l'amour et que je jouis,
    (tiens donc…)
    c’est une sensation incroyablement forte et tellement réelle…
    (elle soupire, se laisse aller dans son fauteuil, son corps se relâche, le crayon tombe et sa chevelure s’évade en longues cascades blondes)
    mon dieu comme c’était bon ! ça m’a fait un bien… tu n’imagines même pas !… vraiment, ça m’a filé une de ces pêches pour la journée !…
    … ça t’arrive jamais, toi, de faire ce genre de rêves complètement délirants ? oh, mais je n’avais pas vu l’heure ! bon, je file, à ce soir…
    (finit sa tasse, se lève, me dépose un baiser-café sur les lèvres, disparaît, jupe et hanches virevoltantes dans le soleil de l’après-midi mais sac à main bien serré sous le bras, et je regarde s’éloigner la femme dont je partage la vie depuis dix ans, jours… et nuits ?…)


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  • FIP

    Bonjour, il est 7 heures et vous écoutez FIP...

    6 H 50, le réveil sonne.
    Je passe sous la douche, j'en sors. J'allume la radio à côté du lavabo. Je me rase et elle débarque dans ma journée "Bonjour, il est 7 heures et vous êtes sur FIP". Un air de jazz, un chanson de Gainsbourg, ma journée commence, la dame de FIP l'accompagne.
    Si j'avais été une femme, j'aurais voulu être une dame de FIP. Je serais belle, blonde, pleine d'assurance, j'entrerais dans la vie de gens et leur parlerais d'amour même quand je leur annoncerais les embouteillages sur le périphérique.
    Ma vie est plus belle depuis qu'elle y est entrée.
    Je l'imagine, je la rêve ; je veux la voir.
    Je finis par apprendre qu'elle déjeune tous les midi dans un petit restau dans une rue que je connais. J'y vais, je veux croiser son chemin et lui dire qu'elle est la femme de ma vie. Je veux que pour une fois elle ne parle qu'à moi, je veux qu'enfin elle ne parle qu'à moi.

    Je rentre dans le restaurant. Je cherche des yeux une femme belle, blonde, assurée. Je ne la vois pas. J'interroge du regard l'ami qui m'a rancardé, il me désigne une dame assise à une table.
    Ce n'est pas elle. Ca ne peut pas être elle. Cette femme est petite, châtain, quelconque. Je fuis.
    6 h 50 le lendemain, le réveil sonne, la douche, 7 h 00 le rasoir, la voix dans la radio qui dit bonjour chez vous.
    Ce n'est pas possible. Comment supporter une telle incohérence.
    Calexico, Herbie Hancock, un adagio de Vivaldi, la voix m'annonce qu'il fera beau aujourd'hui.
    Je m'en fous. Désormais il fait gris. Toujours gris.
    Eliane Elias enchaîne sur les Rita Mitsouko.
    Rien n'y fait. Ca ne peut pas durer.
    Je rentre dans le restau, je fais ce que j'ai à faire. Elle git maintenant par terre, petite, châtain, quelconque pour toujours.

    L'avocat, le juge, le psychiatre, les Assises. Je demande à mon avocat de récuser une des jurées, grise, banale. Le patron du restau se rappelle m'avoir vu la veille. Préméditation. Prison. Je m'en fous. La vie n'a aucun sens si elle n'est pas blonde, belle, fière d'elle et moi.
    Je rentre dans ma cellule. Un type y est déjà installé. Vol à la tire. Un seul coup d'œil me suffit pour repérer la radio qu'il a cantiné. Un seul regard suffit pour qu'il me la donne. Ce con écoute Nostalgie. D'un frôlement du pouce, je me cale sur FIP.
    Un vieux blues, le dernier Fersen. Et soudain une voix. Evidemment ce n'est plus la même. Celle-ci, c'est sûr, elle est grande, belle, élégante, cette fois-ci aucun doute, c'est une vraie blonde.
    Il faut que je sorte d'ici.


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