• C'est vrai, je ne suis pas le plus dégourdi des mecs, avec l'informatique. La révolution numérique, comme ils disent, elle passe pas trop par moi. Bien sûr j'ai fait comme tout le monde, le téléphone portable, et même le smartphone, et même le pc, et au boulot, pas possible d'échapper à excel et aux logiciels de traitement des bons de livraisons, de gestion des stocks, et tout le ramdam, la souris, la photocopieuse qui n'imprime plus mais qui numérise, zéro papier qu'ils disent, d'accord.


    Mais je vais te dire : ya quand même des fois j'ai l'impression que le progrès, ça n'en n'est pas un. Oh, je passe sur toutes les complications, avant tu arrivais pour bosser, ben tu posais ton cul sur ta chaîse, tu ouvrais ton tiroir et tu sortais ton stylo et ton tampon encreur, le transporteur se pointait tu tamponnais son bordereau de livraison, c'est vrai qu'on passait un peu de temps à vérifier sa palette en notant tout à la main mais je ne suis pas sûr qu'on n'était pas moins stressé. Aujourd'hui, il y a l'informatique, la productivité à tenir même quand le logiciel plante, et quand il fonctionne bien ce foutu logiciel est ouvert en permanence sous les yeux de ton chef qui t'engueule dès que les chiffres ne lui vont pas.


    Et s'il n'y avait que ça ! Ce matin pendant la pause c'est le petit nouveau, Kévin, qui a commencé à gueuler en regardant son téléphone, en disant que sa copine était encore à la bourre pour son boulot. "Hein, comment tu le sais ?" "ben elle vient juste de démarrer" "mais comment tu le sais ??" "bah je le vois sur mon téléphone !" Ca, ça m'agace. Les djeuns, c'est évident pour eux, alors ils t'expliquent pas, ou alors tu comprends rien et si tu leur demande de t'expliquer avec des phrases, ils te regardent et tu te sens le dernier des dinosaures. Ca m'énervait quand même bien de pas comprendre ce qui se passait, alors j'ai insisté. Il a fini par m'expliquer qu'il suit les déplacements - il "géolocalise" - de la voiture de sa copine ou, plutôt, du téléphone de sa copine dans sa voiture, depuis son smartphone à lui. Eh bien tu veux savoir ? d'accord je me suis senti vraiment dépassé, mais ça, c'est pas nouveau et je me dis que ça va pas s'arranger. Mais surtout, j'ai pensé que ça devait pas être rigolo pour elle. Le pire c'est qu'il y voyait pas de mal, à "géolocaliser" "Ben quoi, ça m'évite de l'appeler quand elle conduit, pour lui demander où elle est !" Moi j'ai tout de suite vu le fil à la patte, le manque de confiance à venir.


    Nous on géolocalisait pas. On savait pas. Et parfois il valait mieux pas savoir. Si Sandrine elle rentrait tard un soir je plaisantais, ou pas, en lui demandant si c'était son jules qui l'avait mise en retard, et puis c'était tout. Et s'il y a eu un jules, après tout c'est la vie. On ne géolocalisait pas, on s'inquiétait vaguement, puis on passait à autre chose. On n'avait pas de google home, on n'avait pas de smartphone, on avait juste notre bite et notre couteau, mais je crois qu'on ne s'en sortait pas si mal que ça, après tout.


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  • Il faisait si chaud, en cette fin de juillet, dans un Bordeaux aux rues blanchies par le soleil, que nous avions trouvé refuge au cinéma. Tu m'avais emmenée au Jean-Vigo ; "deux places" avais-tu demandé au caissier, "ici, pas la peine de préciser le film, il n'y a qu'une salle" m'avais-tu expliqué en riant. Nous nous étions installés au balcon, bien sûr, et nous nous étions enfoncés dans les fauteuils de velours rouge d'un autre âge.

    Nous étions seuls dans la salle.

    Sur l'écran, le film - Kiarostami - déroulait une atmosphère étrange de collines ocres et de personnages taiseux, éclairant les longues tentures cramoisies encadrant l'écran. De la poussière volait dans l'air.

    Le temps d'un regard tourné vers moi, je distinguai l'éclat de ton sourire.

    Et puis, plus tard, ce poème...

    Si tu viens chez moi, o bien-aimé
    apporte-moi la lampe et une fenêtre
    à travers laquelle j'observerai la foule de la rue heureuse.
    Dans ma nuit si brève hélas, le vent a rendez-vous avec les feuilles.
    Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
    Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
    De ce bonheur, je me sens étrangère.
    Au désespoir je suis accoutumée.
    Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
    Là dans la nuit, quelque chose se passe.
    La lune est rouge et angoissée.
    Et accrochés à ce toit
    qui risque de s'effondrer à tout moment,
    les nuages, comme une foule de pleureuses,
    attendent l'accouchement de la pluie.
    Un instant, et puis rien.
    Derrière cette fenêtre
    C'est la nuit qui tremble.
    Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
    Derrière cette fenêtre,
    un inconnu s'inquiète pour toi et pour moi.
    Toi, tout verdoyant pose tes mains
    -ces souvenirs ardents-
    sur mes mains amoureuses
    et confie tes lèvres repues de la chaleur de la vie
    aux caresses de mes lèvres amoureuses.
    Le vent nous emportera

    Le vent nous emportera....

     

    Le temps nous emporta.

     

     

     

     

     


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  • Et puis là, dans la chaleur d'un printemps éclaboussant de bleu le canal Saint-Martin, me laisser aller à accepter un baiser, donner mes lèvres et ouvrir ma bouche. Tanguer dans la montée d'un désir aussi soudain qu'intense, avoir besoin de reprendre mon souffle pour mieux revenir vers lui. Et parce que l'âge me dédouane désormais de devoir jouer les vierges effarouchées, lui demander en riant s'il croit pratique de se retrouver avec une culotte mouillée, et recevoir avec bonheur, le retour d'un regard surpris mais complice.

    Et parce que nous ne pourrons assouvir, avant longtemps, le désir qui nous habite, nous laisser aller, de rambardes en passerelles, d'escaliers en balustrades, à la découverte de nos corps, encore habillés d'hiver, sans nous soucier des regards environnants sur l'indécence de nos caresses. Parce que le printemps est bien là, dans le rut des pigeons et l'éclatement des bourgeons, parce que nos hivers nous ont été trop longs, avoir envie de faire l'amour là, maintenant, le laisser voir, et être heureux.


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  • Et puis décider là dans l'instant que je n'ai pas envie d'être amoureuse. Pas maintenant. Je n'ai pas envie de me perdre, à nouveau, quand je commence juste à me trouver. L'oubli de soi dans une relation duelle, non merci. Je veux bien qu'on m'aime, mais je veux surtout m'aimer moi, et m'admirer dans mon propre miroir autant que dans les yeux d'un autre. Mon  ego avant mon coeur.

     

     

     

    Mais bien sûr, je fais ma crâneuse.


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  • Un jour mon corps me parlera de fatigue, d'âge et de renoncement. Je l'emmenerai voir le médecin des corps, lui demanderai de me prescrire une île déserte, du soleil, lui demanderai s'il est possible de vivre sans cœur. Il me dira qu'il vient de prendre pour lui-même la dernière île, et me prendra par le bras pour me conduire à la porte d'à côté. Le Diable m'y attendra, je lui proposerai mon âme en échange d'un corps à nouveau rajeuni ; il me répondra en riant qu'une âme qui ne prie plus que les soirs de grand vent ne l'interesse pas, et m'abandonnera aux marchands du temple. Ceux-là me parleront de notre mère à toutes, de la souffrance d'être femme, de la douleur d'être mère, de la source qui se tarit un jour. Je m'enfuierai en hurlant en les maudissant tous, je hairai le hasard qui m'a fait naître femme. Je maudirais mon corps asséché me trahissant, je maudirai mon cœur souffrant s'obstinant à battre, je maudirai mon âme s'entêtant à chercher son autre soi-même.
    Alors un soir je briserai les miroirs qui m'entourent, mon corps et mon âme en ramasseront les éclats, l'un pour s'en crever les yeux l'autre pour s'en couper les veines, et je danserai dans les jaillissements du sang retrouvé.


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