Je n'allais pas rater ça : un repas de famille. Mes parents avaient invité, pour déjeuner ce midi, deux des soeurs de mon père, venues l'une avec son mari, l'autre, récemment veuve, avec son fils et sa belle-fille. Le premier avantage de ce genre de réunion familiale, c'est que me sentir étonnamment jeune, moi qui vient pourtant d'atteindre le demi-siècle. Le deuxième c'est qu'en voyant mes tantes, je me dis que j'ai encore de belles années devant moi. Les femmes vivent longtemps du côté de mon père ! Le dernier avantage, et ce n'est pas le moindre, c'est de pouvoir glaner des histoires de familles, dont je ne suis jamais rassasiée. Je n'ai, hélas, peu ou pas connu mes grands parents, et trop de choses se sont perdues. Aucun de mes grands pères n'a été là pour me raconter "sa" guerre, l'un celle de 14-18, l'autre celle de 39-45, et je le regrette bien. Ainsi, une de mes tantes m'a raconté une anecdote que je trouve extraordinaire : mon grand'père s'était engagé dans l'armée, un peu avant la première guerre, engagement qui faisait suite à une dispute familiale avec son père. Père et fils s'étaient donc quittés fâchés. Sur ce, la guerre éclate, mon grand'père, engagé, est forcément de la bataille, et mon arrière grand'père est quant à lui encore assez jeune pour être réquisitionné dans la grande boucherie. Il se sont pas revus, mais voilà qu'au hasard d'une gare, ils se retrouvent face à face, l'un montant à Verdun, l'autre revenant du Chemin des Dames. Ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre. Il s'en faudra encore de quelques années pour que la guerre se termine, et qu'ils se retrouvent - car l'un et l'autre survivront au massacre. Je trouve l'anecdote très belle. Elle peut paraitre improbable, mais je la pense vraie, il y a des parfois des hasards extraordinaires dans la vie. Mon grand'père ayant survécu, il va "fréquenter" puis épouser une jeune couturière bordelaise. Pour pouvoir se marier, il lui faut un extrait d'acte de naissance qu'il va aller chercher à la mairie de Pessac. En lisant son acte de naissance, il découvre qu'il est né "de père point nommé" - en fait il est né hors mariage. Eh oui, Gaston avait culbuté Georgina sous un chêne, et ne s'était pas pressé alors de régulariser la situation (le concubinage notoire durera quelques années). Mon grand'père, furieux d'apprendre celà, s'en retourna aussi sec chez sa mère pour l'engueuler ! C'est qu'il ne rigolait pas avec la morale !

Je viens de lire "Putain de Guerre", de Tardy, j'ai donc beaucoup de compassion pour mon grand'père et mon arrière grand'père qui ont vécu l'horreur de "la der' de der'". Mon arrière grand'père, gazé sur le front, mourra quelques années plus tard, quand à mon grand'père, il ramènera du front un penchant pour l'alcool (ça je l'ai compris en lisant la BD) qui le tuera quelques décennies plus tard.

Mon père a horreur que mes tantes se mettent à parler de leur enfance, lui il est né bien plus tard et a peu de souvenirs de son père. Moi, j'adore les écouter parler, ce genre de réunion est toujours trop court pour moi, je regrette de ne pas en savoir assez sur ces vignerons, ces couturières, ces blanchisseuses qui vécurent avant moi et dont je suis issue.

La pauvre Georgina ! Il parait qu'il neigeait, ce jour là, elle a bien dû se geler les fesses !