• A table !

    Comme je racontais mon week-end à ma voisine Sylvie, celle-ci m'a dit "et tu as mangé au restaurant toute seule ?". Bah oui. Gabrielle aussi, il y a quelques années, avait été surprise et m'avait dit "moi je ne pourrais pas".

    Alors je t'explique : de 2003 à 2005 j'ai connu une période professionnelle assez faste, très sympa. Je faisais partie d'une équipe chargée d'un projet de déploiement d'un logiciel d'approvisionnement. C'était super intéressant, je faisais de l'import de bases de données, des tests de montée de version, je faisais de l'"accompagnement au changement" auprès des personnes qui allaient utiliser le logiciel, j'écrivais des modes opératoires... je m'éclatais. Et comme une partie des personnes concernées bossait au siège parisien de l'entreprise, je montais régulièrement à Paris. C'est comme ça que j'ai découvert la cuisine libanaise, la cuisine indienne - à l'époque à Bordeaux on était encore très traditionnel - et que j'ai appris à être seule au resto, à être seule à l'hôtel (et à me débrouiller seule dans le métro). Ce qui à Paris n'est pas gênant, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui mangent ou dînent en solo, en particulier tous les salariés qui y vont pour un déplacement professionnel. Mais j'admets que ce qui est facile à Paris dans le cadre du travail, l'est moins dans d'autres circonstances et ailleurs. Il est plus facile de déjeuner seul que de dîner seul en province. C'est une histoire du regard des autres sur soi, bien sûr. 

    Bref, à Bazas j'ai déjeuné seule, j'ai dîné seule, et ça ne m'a pas dérangée. 

     

    Alors, Paris, le logiciel, je te raconte. Mémoires d'une autre époque. Mon manager était un type plutôt bonne bourgeoisie bordelaise, qui présentait bien et avait les bonnes grâces de son propre manager, lequel siégeait à la droite du Père. Du coup mon manager avait un peu bourse ouverte pour atteindre ses objectifs et ça nous profitait. On a fait des repas d'équipe au château des Girondins de Bordeaux, aux Sources de Caudalie, on est parti en séminaire sur l'île de Ré, à Bilbao (ah, le Guggenheim !)... Dans les objectifs de mon manager, il y avait donc le déploiement d'un logiciel d'achats, visant à rendre autonomes les assistantes de Direction de la boîte sur une tâche qui était fait jusque là par notre service. Pas très contentes, les assistantes. Pas contentes du tout, elles ne se privaient pas de me le dire lors des réunions que je leur faisais pour leur présenter le logiciel et l'avancement du déploiement - le fameux "accompagnement au changement" - et comme elles n'étaient définitivement pas contentes, elles l'ont fait remonter à leurs directeurs respectifs. Lesquels se sont plaints auprès de mon manager. La politique ça existe aussi dans le monde de l'entreprise, et mon manager sentant venir la fronde n'a pas voulu risquer son poste, il présentait bien mais n'était pas très courageux. Un jour il a débarqué dans mon bureau "Vous croyez qu'on va y arriver, à déployer ce logiciel ? Euh... Bon, on arrête tout". Trois ans de boulot balayés en une phrase. Bah pour moi c'était pas grave, c'était dommage parce que j'avais passé de super moments à bosser sur le projet, mais j'avais également dû faire face à pas mal d'oppositions et ce n'était en effet pas confortable tous les jours. En trois ans j'avais eu l'occasion de faire des choses que je n'aurais jamais faites sinon, et cela a été une des périodes les plus sympas de ma vie professionnelle, et c'était déjà ça de pris.

    Et puis j'en ai bien profité, parce que quand j'allais à Paris je n'y allais que pour une matinée de réunion, du coup j'en profitais ensuite pour explorer les restau du quartier - note de frais - et surtout pour profiter de mon après-midi pour découvrir Paris et surtout visiter les musées et voir les expos. J'ai découvert le musée Maillol, le musée Picasso, la BNF, j'ai admiré les crinolines du musée Galliera, et j'ai exploré toutes les petites rues du Marais, entre autres. Je n'avais jamais été à Paris auparavant, sauf une fois pour mes 20 ans, alors c'était une vraie chance que de découvrir Paris dans ces conditions. Et à l'époque on se déplaçait encore en avion (aujourd'hui la politique de l'entreprise l'interdit, c'est le train) et j'ai eu des voyages splendides, notamment un lever de soleil un matin d'été, le soleil rasant dévoilait tous les reliefs des rivières, des collines, jusqu'à la chaine des Puys, je m'en souviens encore. Aujourd'hui ce genre de choses n'est plus possible, et c'est bien dommage pour les jeunes générations, parce que c'était quand même quelque chose que de balancer lors de repas de famille "alors oui, cette semaine j'étais encoooore à Paris pour le boulot...". Encore qu'aujourd'hui, les djeuns se baladent tous en Ryanair avec une facilité que je leur envie.... Mais bon, voilà, c'est un excellent souvenir et donc, non, ça ne me dérange pas d'aller au restaurant seule.

     

    Sur le même sujet : je suis une grande admiratrice de Colette, dont j'ai lu une bonne partie des oeuvres, pour une bonne part autobiographiques ou directement inspirée de sa vie. Et elle raconte notamment ses années de femme seule et indépendante, ce qui dans les années 20/30 n'était pas banal. Dans "Chambre d'hôtel" en particulier elle relate ses voyages et ses séjours en solitaire dans les villes où la bonne société parisienne venait "prendre les eaux". Je me suis beaucoup retrouvée dans ces écrits doux-amers, lucides aussi.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 19 Juillet à 10:04

    Et tu as bien fait ! J'ai moi également connu la belle vie lors de mes déplacements pro j'ai toujours fait un point d'honneur à profiter des opportunités qui se présentaient au fil de la route,  au gré des clients et merci les notes de frais. Alors culturellement c'est plus facile pour les hommes (pour les sujets de notre génération) ceci étant dit j'ai des tas de copains qui se bornaient à une nuit dans le Campanile à la sortie de l'autoroute... les pauvres !

    Exister seul (e) c'est un défi après avoir baigné toute une vie dans notre éducation judéo-chrétienne... et je crains fort que les conséquences soient plus terribles que le simple fait de ne pas pouvoir aller au resto toute seule, comment accéder tout simplement au plaisir avec de tels verrous.

    Ma petite soeur toute bleue par exemple refuse d'aller au cinéma sans son mari, elle est stupéfaite lorsque la femme de ma vie lui dit qu'elle va boire un verre en terrasse seule et à deux pas de la maison, elle ne comprend pas l'intérêt... des trucs qui me sidèrent !

    Oui, tu fais bien !

     

    Bleck

      • Vendredi 19 Juillet à 15:40

        Merci ! :-)  J'apprécie à sa juste valeur le fait d'être une femme née à la fin du XXème siècle et vivant dans un pays occidental ! 

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