• On s'était dit rendez-vous dans dix ans

    Vendredi dernier Gabrielle avait organisé un "repas souvenir" réunissant des anciens salariés de l'entrepôt où j'ai passé mes premières années de travail. On avait tous 20 ans - et même pas encore pour certains - et c'était pour nous notre première expérience professionnelle, notre premier CDI. C'était l'entrepôt logistique régional d'une chaîne de grands magasins. Beaucoup de manutentionnaires, de caristes, quelques employés de bureau, une comptable, la chef du personnel, le directeur, et moi, la secrétaire du directeur et qui, à ce titre, avait hérité de l'animosité que le directeur suscitait parmi le personnel. J'étais jeune, pas forcément préparée à ça, mais la gentillesse finit toujours par payer. Ce n'est pas la seule leçon de ces années là, qui m'ont beaucoup appris, tant professionnellement qu'humainement. La confrontation avec des filles arrivées tout droit de leurs campagnes, tu aurais vu ma tête le jour où ça s'est mis à parler de sorts et de mauvais oeil autour de la table de la cantine, j'avais l'impression de plonger dans un roman du XIXème. Les petits "grands magasins" ont été racheté par une enseigne plus prestigieuse qui avait déjà sa filière logistique, le dépôt a été liquidé et j'ai été reclassée dans une filiale du groupe, laquelle a été transformée en holding quelques années plus tard avec la Big Bank pour moitié dans son capital, et puis la Big Bank a fini par racheter la filiale. De reclassements en fusions-acquisitions, j'ai changé quatre fois d'entreprise... sans pour autant connaître ni licenciement ni chômage et, comble de chance, j'ai à chaque fois été reprise avec mon ancienneté... banco ! Je n'y suis pas allée, à ce dîner, parce que je rentrais de Paris et que mon train de retour a été bloqué deux heures en gare de Bordeaux pour cause de colis suspect. Est-ce que je regrette de ne pas avoir revu mes anciens collègues ? Je ne sais pas. Trente ans plus tard...

     

    Gros coup de blues, le 31 décembre dernier. En me levant je me suis aperçue que cela faisait cinq ans, décembre 2017, que ma mère s'était cassé le col du fémur en tombant, et cinq ans plus tard ni elle ni mon père ne sont plus là.

     

    Décembre 2022 j'étais contente, vraiment contente de claironner autour de moi qu'il ne me restait plus que quatre ans à bosser, décembre 2026 Ciao bye-bye. Et puis voilà, la réforme des retraites et un collègue de mon âge qui me dit avoir calculé que pour notre année de naissance il nous faudrait bosser neuf mois de plus. J'en aurais pleuré. Ca parait peu, neuf mois. Mais quand on est déjà bien fatigué, ça parait interminable. Et puis ça me gonfle, la pénibilité, mais tout travail est pénible, il suffit d'un chef con pour faire d'un boulot sympa un véritable enfer, et il n'y a pas que le travail dans la vie, et à partir d'un certain âge ce n'est pas seulement le travail mais aussi les parents âgés à gérer en plus des enfants devenus adultes avec des problèmes d'adultes... Mais comme m'a dit Monsieur mon cadet, hier soir, "ben quoi, tu te mettras neuf mois en arrêt maladie...". Certes.

     

    Cette année je franchis une dizaine supplémentaire, ça ne me fait pas rire. Je me souviens bien de mes 50 ans comme si c'était hier, et je me dis que les 10 prochaines années passeront aussi vite - et quoi, la fin ? 2013, une dépression et pourtant, la réalisation d'un beau rêve, ce voyage en Israël, l'achat de mon appartement à Caudéran, et puis mon retour au sein du service informatique, retour - et efforts - dont je récolte les fruits aujourd'hui. Faut-il dire que j'ai fait tout ça malgré la dépression : non, c'est la dépression qui m'a poussée à faire tout ça. Et maintenant ? Je ne te dis pas rendez-vous dans dix ans, parce que je me dis que je ne les ai peut-être pas, ces dix ans.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :